A la mémoire de Dave Steel et Rog Scull
Deux
ans après notre retour de l’Afghanistan, Paul Bunting organisait une
expédition au Cordillera Real aux Andes Boliviens. Un de l’équipe a
dû renoncer et, quand Paul m’a demandé si j’étais intéressé,
j’ai sauté sur l’occasion. Le
Cordillera Real a été choisi parce que nous y anticipions des
conditions similaires à celles que nous avons connues avec tant de succès
au Hindu Kush en 1970. La saison d’escalade est l’hiver, ce qui
correspondait aux vacances d’été, et les conditions climatiques et
topologiques semblaient convenir tout à fait au style alpin que nous
comptions employer. Ceci a bien marché en Afghanistan pourquoi pas en
Bolivie? Hélas, nous allions trouver que tout ce qui a l’air parfait
sur papier, ne l’est pas forcément en pratique, et en plus, se faire
rappeler cet ingrédient essentiel à toute sortie en montagne réussie :
une bonne dose de chance. Malheureusement,
cet ingrédient a manqué à deux parmi nous et Dave
Steele et Rog Scull sont
morts sur l’Illampu. Cette tragédie nous a touchés tous profondément
et, même trente ans plus
tard, j’ai hésité avant d’écrire sur l’expédition. Comment présenter
la perte d’un si bon ami que
Dave ou quelqu’un aussi facile à vivre que Rog? Aucun passe-temps
n’est assez important pour justifier qu’on en meurt. J’avais peur
aussi que c’était en quelque sort une exploitation d’un évènement
tragique, chose que nous voyons si souvent dans la presse. D’autre
part, c’est aussi une façon de garder en vie leur mémoire, un complément
à la petite plaque en bronze dans l’escalier du bâtiment de l’Union
des Etudiants de L’Imperial Collège à Londres. Finalement c’est ce
dernier argument qui a emporté, si j’ai eu tort et des personnes
parmi leurs amis ou famille sont blessées ou offensées, je les invite
à m’écrire par email. Je ferai toute modification qu’ils
trouveraient souhaitable. Dave
et Rog venaient de Bristol, à l’Ouest de l’Angleterre. Ils avaient
tous les deux l’accent et la manière doux qui est tellement typique
de cette région. Il n’y a aucun doute qu’ils étaient techniquement
de loin les plus forts sur roche dans notre groupe. Ils étaient à
l’aise sur l’Avon Gorge (une célèbre falaise dans la ville de
Bristol où l’escalade sur le calcaire a débuté en Angleterre, et
qui est redouté pour sa difficulté technique) où nous autres n’étions
que des visiteurs hésitants. J’avais passé beaucoup de temps avec
Dave, à grimper, à boire et c’était même avec lui que je suis allé
à ma toute première manifestation, contre la guerre de Vietnam. Nous
n’étions pas aussi “politiquement avertis” que veut la caricature
de l’étudiant de l’époque, mais nous avions bien une vague
conscience et un de nos projets était de rester en Amérique du Sud après
l’expédition, peut-être aller au Chili pour quelque temps, le destin
allait décider autrement. Dave
était aussi un des plus enthousiastes adeptes de nos sorties nocturnes,
habituellement le mardi soir après la soirée du club au bar
universitaire, soit pour descendre dans le gruyère de tunnels plein de
poussière d’amiante sous South Kensington, la visite par en dessus du
Musée de Science
était un de ces exploits, soit, ce qui était plus convenable pour des
grimpeurs, pour escalader les nombreux monuments de la capitale. J’ai
toujours des souvenirs fort, et effrayants, de quand nous avons trouvé
un accès, d’en bas par les canalisations de ventilation, au
“Prince’s Tower” (une très haute tour qui surplombe le campus de
Imperial College). Une fois au sommet, en forme d’un dôme en cuivre
surmonté d’une petite coupole, le jeu était de faire le tour du dôme
en dehors
de la balustrade. Pour moi c’était la matière de cauchemars, étant
en forme de dôme, le bord était presque plat, mais ensuite la pente de
métal glissant devenait rapidement de plus en plus raide. Peut-être la
bière perdait son effet, mais je n’osais pas y aller, Dave l’a
fait, mais il ne m’a pas poussé à le suivre. C’est facile à
s’entendre avec quelqu’un qui respecte votre décision sans
histoire, de tels amis sont difficiles à trouver. Rog, qui habitait Bristol, était un ami proche de Dave et ils grimpaient régulièrement ensemble. Je ne peux pas prétendre le connaître bien mais j’ai passé une saison avec lui et Dave à Chamonix. C’est de là que j’ai mon souvenir préféré de lui. Dans le célèbre Bar Nationale il y avait un des seuls juke-boxes vidéo que j’ai vus, et Rog avait découvert un clip musical comique d’une chanson qui s’appelait “Wanita Banana”. En dépit des 10F chaque coup il insistait de le faire jouer sans arrêt, chaque fois semblant le trouver plus drôle que la précédente. J’ai
inclus les seules photos que je possède des
deux ensemble, une sur les quais de Puno au
Pérou, à côté du Lac Titicaca, et l’autre sur Chacaltaya, la
“station” de ski de La Paz, réputé être
la plus haute du monde. Symboliquement, je n’en ai pas d’autres des
deux, nous pensions que
nous étions immortels, et, évidement, ce n’est pas le cas. J’en ai
une avec Dave (4ème de la
gauche, rangée de fond), prise par Ken Jackson dans le Passe de
Llanberis, sous Cenotaph Corner, qu’un ami japonais, Eiki Omata, m’a
donné. La copie n’est
pas très bonne mais l’atmosphère me rappelle des souvenirs heureux. Donc,
la voilà, mon mémorial à Dave Steele et Rog Scull, qui venait de
Bristol et qui sont morts sur l’Illampu, Bolivie en août 1972. |
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