Au
matin, Paul et Nev ont pris la route pour La Paz et nous autres avons
commencé à préparer le départ. Il faisait toujours mauvais et
reneigeait. Le jour suivant il faisait un peu mieux et Rich et moi
sommes montés vers le col de Buena Vista pour récupérer la tente et
le matériel que nous y avions laissé. Nous avons trouvé la tente au
milieu d’une marre de 20 centimètres d’eau. Le temps que nous
l’avons remonté au sec, il s’est mis à neiger de nouveau et nous
avons décidé d’attendre le matin pour monter au glacier d’Ancohuma.
Il
a neigé toute la nuit et quand nous sommes arrivés au dépôt sur le
glacier il y avait déjà 30 cm de neige fraîche et un fort vent de
face. Nous avions eu du mal à le trouver dans les congères; il y avait
décidément un air de fin de saison. Une fois tout retrouvé et chargé
à dos, avec un dernier regard en arrière et, dans un froid qui pénétrait
jusqu’à l’os, nous sommes repartis au camp de base pour la dernière
fois.
Le
vendredi 1er août nous étions réveillés par Angelino, et les autres
hommes et leurs lamas sont arrivés pendant la journée. Nous étions
dans un état d’esprit étrange, tout en refoulant certaines pensées
au fond des nos têtes, nous avons banalement fait nos bagages. J’ai même
pris des photos publicitaires, que, bien sûr, personne ne verrait
jamais. Angelino était mal à l’aise et c’était claire qu’il ne
savait pas tout à fait comment réagir aux circonstances, je pense
qu’il nous trouvait un peu trop froids et indifférents. J’ai essayé
de lui expliquer que j’avais été éduqué à ne pas montrer mes
sentiments: “En Angleterre un homme ne pleut pas.” je lui ai dit en
espagnol. Phrase stupide, mais mes connaissances linguistiques
n’allaient pas plus loin; je me demandais si c’était la vraie
raison. Les villageois nous avaient amené plusieurs variétés de pomme
de terre: la Bolivie est le pays d’origine de la patate.
Nous
avons négocié le transport par l’intermédiaire Angelino, comme
toujours. Ils garderaient toutes nos conserves, et en contre-partie ils
nous accorderaient un tarif plus bas. Dans ces villages ils mangeaient
très peu de protéines et ils étaient contents d’autre chose que des
boites de poisson.
La
plupart sont partie à 5H00, nous-mêmes un peu plus tard. Il nous a
fallu 29 lamas et deux porteurs; à l’arrivé les chiffres avaient été
60 et 10. Je marchais avec Angelino. Quand nous sommes arrivés à un
endroit sur l’épaule derrière le lac, où nous étions sur le point
de perdre de vue notre base camp, il a pris un bidon d’essence qu’il
portait, a renversé un peu par terre et l’a allumé. Il a fait ceci
en silence, impassiblement. Ensuite il s’est retourné et a repris sa
route. Quoiqu’il signifiât, il me semblait approprié, je n’ai pas
posé de question.
Nous
sommes arrivés au village à 14H30 et maintenant la longue montée à
la mine était devant nous. En fait, il n’était pas aussi mauvais que
j’avais craint; notre acclimatation aidait beaucoup. A la mine nous étions
de nouveau bien accueillis, et nous nous sommes installés pour ce qui
allait devenir un attente de 6 jours, une sorte de purgatoire, une période
étrange et irréelle entre deux mondes, haut dans les Andes, les
montagnes à notre droite, le bassin amazonien à gauche, et les nuages
toutes autour. Assis dans une petite pièce, avec ses murs blanchis, éclairé
le soir par une lampe à pétrole, nous avions du temps pour réfléchir.
Il
y avait des étudiants qui faisait un séjour à la mine, et nous avons
pu parler un peu plus avec eu qu’avec les mineurs qui, à part
Angelino, ne parlaient que l’aymara. Ce n’était pas claire pourquoi
ils y étaient, ils changeaient le sujet si nous posions la question, je
me demandais si ce n’étaient pas lié au fait que la régime
militaire venait de fermer l’université - quand nous avions été à
La Paz les trous de balles étaient toujours visible sur la façade.
Nous parlions un peu de la politique, de Victor Paz Estensorro, je me
souviens d’une phrase sur lui en espagnol ; “L’homme a changé.”
En Bolivie, depuis, beaucoup d’hommes ont dû faire la même chose.
Nous avons joué au football aussi avec les autochtones, plus la spécialité
de Steve que la mienne. Les mineurs étaient plus petits que nous mais
plus trapu et beaucoup plus large de poitrine, apparemment leurs corps
sont adaptés à la vie sur l’Altiplano et possèdent des poumons et
des cœurs plus grands. A plus que 4000 mètres, ils avaient
certainement un avantage physique sur nous mais c’était assez équilibré
tout de même.
Finalement,
la camionnette du Club Andino est arrivée, nous l’avons chargée sous
la pluie et sommes partis. Nous avions eu quelques petits problèmes
avec le moteur et, après 5 heures et un plus haut de 4720m, sommes
arrivés à Sorato à 22H00. Nous avons passé la nuit dans un hôtel,
bercés par la sérénade des chiens et des autochtones ivres jusqu’à
l’aube; c’était le vendredi soir, après tout. Nous avons traversé
l’Altiplano, assis sur le toit de la camionnette en prenant des photos
et bientôt nous étions de retour à La Paz. La police a fait son enquête
sur l’accident, et les formalités devaient prendre quelques jours.
Nous sommes allés au même hôtel vers le haut, donc meilleur marché,
partie du quartier espagnol de la ville.
Un
incident était assez révélateur sur un aspect de la situation sociale
en Bolivie. Quand nous avons dit au revoir à Angelino, il nous avait
dit qu’il devait venir à La Paz bientôt et naturellement nous lui
avons donné l’adresse de notre hôtel et l’avons invité à venir
nous voir pour prendre un verre ensemble quand il arriverait au capital,
c’était le moins des choses après tout qu’il avait fait pour nous.
Un jour, quand nous étions dans notre chambre, il est bien venu devant
l’hôtel, mais il a refusé d’entrer. Nous sommes sortis pour le
voir et il nous a expliqué que c’était un hôtel européen, et lui
il était indien, il ne pouvait pas entrer...
Un simple incident de racisme ordinaire qui était apparemment
tellement répandu qu’on ne le trouvait même pas choquant, ou au
moins personne se disait choquée. Ceci dans un pays où
approximativement 60% de la population sont pur indien, 30% métis et
que 10% européen.
Pour
le voyage de retour, Paul Bunting et moi allait accompagner nos bagages
à Arica pour l’embarquer pour l’Angleterre, et les autres avaient
envie de visiter Cuzco et Macchu Pichu, la citadelle inca au Pérou;
nous nous retrouverions plus tard pour prendre l’avion. J’aurai aimé
faire un tour au Pérou, mais j’avais toujours envie d’aller le
Chili, Allende était président à l’époque et j’étais curieux de
voir le pays – nous savions
tous que c’était peu probable que nous retournerions à cette partie
du monde.
Nous
ne savions pas, par contre, que l’expérience chilienne allait ne
durer plus qu’une année, avant d’être effacée dans un bain de
sang par les gringos et leurs alliés sur place. On nous traitait
souvent de gringos, nous le niions avec vigueur, mais avec mes yeux
bleus et des cheveux blonds jusqu’aux épaules, je ne pense pas
qu’ils me croyaient. J’ai souvent pensait après que si on m’avait
tranché la gorge en représailles pour un des nombreuses horreurs que
les américains du nord ont infligeaient aux américains du sud, surtout
après les massacres de Chili, je ne pouvais pas vraiment me plaindre.
Cette pensée a refroidi un peu mes désirs de voyager dans ce coin du
globe pendant longtemps.
Pour
aller à Arica, il fallait prendre le train, bolivien jusqu’à la
frontière et chilien jusqu’à la côte pacifique. Les différences
entre les trains reflètent les différences entre les deux pays. Le
train bolivien, vieux et lent, les wagons avec une plate-forme à chaque
bout et un intérieur tout en bois sombre sculpté, semblait sortir
d’un western. Celui de Chili était rapide, moderne et l’intérieur
était clair, mais sans beaucoup de charme, c’est le progrès. A la
frontière, au milieu de désert le plus sec du monde, il y avait un
petit groupement isolé de bâtiments ou on changeait de train et aussi
de monde, encore un autre endroit spécial, légèrement irréel, parmi
beaucoup d’autres que nous avions vus.
Nous
avons dû attendre un peu, au loin les cônes volcaniques jumelles de
Sajama (6520m) et Parinacota (6330m) s’élevaient du désert. Plus près,
à la tombée de nuit, des femmes indiennes ont installé des stands
pour vendre de la nourriture aux voyageurs. Il y avait un groupe de
jeune cheminots chiliens et nous avons bavardé un peu. La conversation
a continué pendant la voyage de nuit, ils étaient tous des supporteurs
fervents d’Allende, et le trajet est passé vite. Les opinions
politiques de Paul, nettement plus à droite que les miennes, et
l’enthousiasme (mélangé avec de l’appréhension, car la situation
dans le pays était déjà très tendue) de nos compagnons de voyages
donnaient un large champ de discussion, des fois animé mais toujours de
bonne humeur; nous n’avons jamais discerné la moindre hostilité,
alors qu’ils savaient sûrement mieux que nous d’où venait le
danger. Je me demande ce qu’ils sont devenus pendant le coup d’état
militaire, exactement une année plus tard le 11 septembre 1973?
A
Arica nous étions de nouveau au 20ème siècle, et du haut d’un point
de vue célèbre, la ville, les docks et l’Océan Pacifique s’étendait
devant nous. Paul a vite réglé les problèmes de fret et douanières
et il nous restait un peu de temps pour faire du tourisme. Les difficultés
économiques étaient évidentes partout. Par exemple, pour les Chiliens
la viande était un produit très cher et pour en avoir il fallait faire
une queue sans fin, mais pour nous, avec des dollars US à changer, tout
était disponible. Nous avons commandé du poulet dans un restaurant et
étions étonnés, et un peu gênés, étant donné les pénuries et les
longues queues que nous avions vues, quand on nous a servi la moitié
d’un poulet entier chacun! Il y avait des drapeaux chiliens partout et
de nombreux panneaux écrits à la main pour soutenir le Front
Populaire, mais clairement les choses ne se passaient pas très bien.
Nous n’imaginions pas jusqu’à quel point tout allait terminer mal,
dans un pays qui était fier de sa démocratie bien établie et de
l’esprit de neutralité de son armée, à l’opposé de celle de la
Bolivie, au moins pensions-nous à l’époque. Quand je regarde mes
photos de Chiliens, j’ai les même sentiments amers que quand je
regards mes photos de l’Afghanistan prises deux années avant, combien
de ces visages souriants sont toujours de ce monde?
De
toute façon, c’était maintenant temps de se mettre en route et, pour
éviter de payer l’hôtel, nous avons pris l’autocar de nuit au
nord, sur le célèbre “Route Panaméricain”, au Pérou. C’était
une matinée éclatante de soleil quand nous sommes arrivés à
Arequipa, la deuxième citée du Pérou. Des montagnes couvertes de
neige se détachaient d’un ciel d’un bleu profond, avec en premier
plan une des plus belles places coloniales de l’Amérique du Sud, qui
s’appelait, comme d’habitude, la “Plaza de Armas”. Nous avons
pris une pause pour faire du tourisme et j’ai acheté des bijoux
d’argent filigrane, nous n’étions plus sur une expédition,
seulement des touristes à la recherche de petits cadeaux comme tout le
monde. La mystérieuse procédure de décompression et retour sur terre
était en route, bientôt la réalité présente aller devenir des
souvenirs d’une autre vie.
Mais
maintenant nous étions en danger le louper l’avion à Lima, et il
n’y avait aucun bus avec des horaires convenables, nous avons, donc,
après quelques moments de panique, pris une “collectivo” pour l’aéroport
de Lima. Ceci est une solution sud-américaine typique, et très
logique, qui combine la souplesse avec un coût raisonnable. Le
chauffeur de ce qui est essentiellement un gros taxi, souvent, comme
dans notre cas, un vieux mais spacieux “Yank-tank” - une grosse
voiture nord-américaine - trouve assez de passagers qui ont la même
destination pour la remplir et qui partagent les frais. Notre conducteur
n’était pas exactement dans sa première jeunesse, mais il nous a
promis de conduire toute la nuit pour nous faire arriver à l’aéroport
à temps.
Bientôt
nous avons commencé un voyage épique sur le “Pan-Am”. Les heures
monotones défilées et il faisait maintenant nuit, le chauffeur commençait
à faire les plus étonnants soubresauts de la tête, et la trajectoire
de la voiture devenait de plus en plus incertaine, mais il ne pouvait
pas dormir, il nous avait fait une promesse. Finalement, il s’est arrêté
pour prendre de l’essence. Il est descendus et a parlé furtivement à
un autre homme, et puis, en titubant, à moitié endormie, il est allé
derrière un petit cabanon, une sorte de snack-bar. Quelques minutes
plus tard il est revenu, en marchant droit et brusquement comme un jeune
homme qui venait de dormir pendant douze heures, souriant et complément
éveillé. Je ne sais pas ce qu’il a pris derrière le snack-bar, mais
je pense que c’était un peu plus fort que du café! Quoi qu’il en
fut, il a tenu sa promesse et nous avons eu notre vol. Dans mon journal
j’ai noté : “Arrivé Lima en collectivo à 6H30. Parti en avion
7H30.” C’était limite!
Comme
il nous restait un peu de temps avant notre charter de New York, Paul
Bunting et moi avons décidé de profiter de la souplesse de nos billets
d’Air Equatoriana et passer un jour ou deux à Panama. Un autre pays,
différent encore. Nous avons dormi dans un hôtel assez louche dans le
“down town” Panama City, complète avec son escalier et balcons intérieurs
en bois, comme dans les westerns, la nuit la chaleur étouffant étant
dissipée par des bouteilles de bière fraîche, bues allongés sur nos
lits. Nous avons loué un Volkswagen coccinelle le lendemain et, après
un moment intéressant quand nous nous sommes trouvés en sens inverse
sur un boulevard de quatre voies à sens unique, face à face avec une
quadruple horde de buses et camions panaméens, nous avons réussi à
trouver le chemin pour la zone du canal. Nous avons passé une journée
agréable, à explorer et prendre des photos, j’avais claqué des
dollars sur un objectif télé photo dans la zone duty-free de l’aéroport,
le pélican est une des clichés prise avec ce jour-là.
Le
prochain arrêt était Miami. Un incident amusant c’était quand, en
plein vol, en regardant par le hublot, j’ai constaté qu’une des hélices
de nos quatre moteurs ne semblait plus tourner. J’ai appelé l’hôtesse
pour lui indiquer ceci, elle ma sourit comme les hôtesses sud-américaines
savent faire, et m’a dit simplement, “Ne vous inquiétez pas, ils
nous en restent trois.”
Elle
avait, bien sûr, raison et nous sommes arrivés sain et sauf à Miami.
Ici nous avons décidé que nous avions juste le temps pour “faire”
les Florida Key et nous sommes allés louer une voiture à l’aéroport.
Nous anticipions avec un certain plaisir de conduire la plus petite
“compacte” de la brochure, un Ford Mustang! Ironiquement, dans le
pays du tout puissant dollar, ils refusaient de prendre des espèces
pour la location, ils insistaient sur une carte de crédit, et, comme
nous n’en avions pas - ils n’étaient pas encore très répandus en
Grande Bretagne - nous avons dû renoncer à notre projet, bien que nous
ayons largement assez d’argent en poche. Après avoir passé deux mois
dans des pays ou personne n’aimait les gringos mais leurs dollars
pouvaient acheter n’importe quoi sur terre, ici, dans le pays des
gringos, ils ne voulaient même pas prendre ces mêmes billets.
Bientôt
nous étions dans le Greyhound pour New York. Le voyage nous a fournis
avec d’autres exemples des charmes des indigènes; après un pause au
services, le conducteur a remarqué qu’un de ses passagers était en
retard. Il a attendu qu’il était presque arrivé au car avant de
partir avec un rugissement du moteur et des remarques caractéristiques
sur la panique du pauvre. Finalement, il l’a laissé monter, un fois
qu’il avait eu sa petite “blague”.
A New York il faisait très chaud, je suis allé
traverser la rue quand le panneau indiquait “Ne marchez pas” et me
suis fait rondement engueuler par gros “cop”, qui, d’un façon
ostentatrice, a mis sa main sur son revolver au même temps. C’était
après une conversation agréable avec un chauffeur de taxi à
qui j’avais demandé les directions pour aéroport, en lui expliquant
que j’avais du temps à tuer, et que je voulais marcher. “Ecoute mon
pote, si tu veux que je t’y amené, monte, sinon, va te faire fo****!”
C’est exactement ce que j’ai fait, et après un peu de shopping avec
Paul, qui voulait acheter un appareil à photo, nous sommes arrivés à
l’aéroport, montés à bord une DC10 “rallongé”, bien chargé et
très long, et, après une interminable accélération sur la piste,
sommes envolés pour Heathrow. Nous avions été absents pendant
exactement trois mois.
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