L'accident

Nous sommes installés au camp pour un bon repos. Les autres avait fait pas mal de routes, Steve et Paul B sur le groupe Viluyos et Hankopiti 3, 4, 6 et 7, Nev et Paul Mac sur Buena Vista 1 et 2, Hankopiti 1, Kimsakolyo et Kunotawa 2, et Dave et Rog avait fait Hankopiti 7, un sommet près du Canyon, et Pico del Norte. Ce dernier leur a donné de belles vues sur la face est de l’Illampu, qui, avec l’Ancohuma, étaient les sommets les plus hauts du massif et nos objectifs principaux. Le 14, en dépit des chutes de neiges l’après-midi, ils sont partis pour la face avec un bon stock de nourriture pour 8 jours.

Le lendemain il a encore neigé, mais le16 il faisait beau et nous aurions dû partir pour l’Ancohuma, mais nous ne l’avons pas fait. Il a reneigé le jour suivant, était couvert le suivant, le 19 nous étions prêts à partir mais nous l’avons remis au lendemain matin. Finalement, le 20, Rich, Paul et moi-même sommes partis par la vallée au sud-ouest du Lac Vert vers le col entre Buena Vista 2 et Hankopiti 1. Ce chemin avait été reconnu comme étant la meilleure route au plateau glacier en dessus de la face est de l’Ancohuma. Nous avons pris une tente Vango (une lourde tente à trois places, utilisée au camp de base) avec nous et beaucoup de nourriture pour établir un camp de base avancé à partir duquel la face aurait pu être attaqué collectivement; nous anticipions des difficultés nettement plus sérieuses que celles que nous avions rencontré jusqu’alors. Nous avions prévu de déposer notre chargement et retourner le lendemain au camp de base. Après 5 heures de marche nous avions atteint l’endroit choisi pour dormir. Rich et moi avons eu le plaisir supplémentaire de voir Paul s’embourber dans un marécage plus bas que nous, un raccourci avait-il dit, pendant que nous, assis confortablement à un endroit plus sec, l’observaient et riaient, tout en faisant des remarques désobligeant. Nous avons apprécié le luxe d’une vraie tente, et avons passé une nuit agréable.

Au matin, nous sommes montés, par le col, sur le glacier, et là, devant nous, se levait le spectacle intimidant de la face est de l’Ancohuma. Elle faisait plus que mille mètres et comportait de nombreux piliers, dont certains semblaient être détachés de la face. Entre eux les couloirs étaient bloqués par des falaises de glace, et au pied de chacun la neige était salie par un énorme cône de débris gris. Pour tout compléter, une très grande corniche parcourait presque tout le long de l’arrêt du sommet, avec quelques lignes de séracs ici et là pour faire bonne mesure. Nous l’avons regardée longuement, assis sur nos sacs à dos, en essayant de trouver une ligne raisonnablement sûr, à l’abri des chutes de pierres et, en ce qui me concerne au moins, me demandant si nous ne pouvons pas trouver un moyen de se dégonfler honorablement. En fait, le destin allait prendre la décision à notre place.

Une fois les affaires déposés dans un creux, nous sommes descendus à la tente, que nous avons laissez sur place, et, après une tasse de thé, sommes retournés au camp de base (21/8/72). Nous étions surpris de le trouver désert. Puis nous avons trouvé un message disant qu’ils avaient vu une fusée rouge venant de Dave et Rog la veille du haut de l’Illampu. Les autres, Paul Mac, Steve et Nev étaient partis le matin. Un calcul rapide montrait qu’ils avaient quitté le camp 7 jours auparavant, et donc ils auraient dû avoir assez de nourriture, mais la situation avait l’air sérieux quand même. De nos jours nous aurions sûrement eu des radios, mais à cette époque ce n’était pas le cas, notre seule méthode de communication c’était l’envoie d’une fusée, verte, rouge ou blanc chaque soir à 19H00. Ceci impliquait que les équipes concernés avaient une ligne de vue directe et qu’il n’y avait pas de nuages; des conditions loin d’être garanties. Nous ne pouvions pas téléphoner non plus, la poste la plus proche était à la mine, elle-même à des jours de La Paz. S’ils étaient en difficulté à 6000 mètres, aucun service de sauvetage existait et en Bolivie il n’y avait même pas d’hélicoptères militaires capables d’opérer à de telles altitudes. C’était à nous seuls à faire ce que nous pouvions pour les aider.

Avec ces pensées, et certainement beaucoup d’autres qui bouillonnaient dans nos têtes, nous sommes partis vers l’Illampu au matin avec ce qu nous espérions être l’équipement approprié. C’était une longue montée et bientôt j’étais loin derrière les deux autres; une pente d’herbe raide et ensuite une ligne de cairns à suivre dans les nuages, ensuite un arête rocheux. Je suis passé devant un premier site de bivouac puis j’ai aperçu Paul et Rich entre les nuages beaucoup plus haut et j’ai continué de monter vers le glacier. La nuit tombait et je commençais à marmonner tout seul qu’ils auraient dû s’arrêter déjà. Finalement j’ai rencontré Paul Mac sur le glacier qui était descendu pour me montrer le chemin au camp. Nous sommes arrivés à 20H00 et avons monté le double toit d’un Vango avec ses piquets pour dormir.

La tente de bivouac bleue, que Dave et Rog avaient prise, était là, sur le glacier, avec des duvets et de la nourriture à l’intérieur, et, je me souviens bien aussi, un livre de J. P. Donleavy - “The Beastly Beatitudes de Balthazar B” que j’avais passé à Dave après l’avoir lu moi-même, il doit y être toujours. Il y avait peu de nouvelles sauf qu’ils avaient aperçu quelqu’un qui se déplacer sur l’arête sommitale, ce qui était encourageant, et que Steve et Nev avait essayé de grimper la face directement mais ont dû redescendre, ce qui l’était moins.

Au matin (23/8/72) nous sommes partis pour escalader l’Illampu par l’arête gauche (sud), qui descendait jusqu’au glacier un peu au sud de notre camp, formant ainsi une brèche. Rich et moi devions passer en premier, soutenus par Paul B et Steve, pendant que Paul Mac et Nev restaient sur le glacier. Nous avons pris le minimum d’équipement dans l’espoir d’atteindre Rog et Dave en un jour, un plan optimiste. La première longueur, pour sortir de la brèche, était raide et dangereuse, la roche étant couverte d’un mince couche de glace. Je suis parti en tête derrière un pilier, hors de vue des autres, et je montais lentement, avec quelques difficultés. Bientôt j’ai trouvé des bouts de chorde gelés sous la glace, probablement laissés par une expédition japonaise l’année précédente, et je n’ai pas hésité à les utiliser pour progresser. En dépit de cette aide, les autres commençaient à se demander pourquoi je traînais, ils ont découvert la raison un peu plus tard. Rich et moi sommes finalement montés sur la crête de l’arête, laissant de la chorde ici et là pour permettre aux autres de prussiquer et gagner du temps, mais, tout de même, nous progressions beaucoup trop doucement. Une fois sur la crête c’était plus facile techniquement, mais toujours exposé et dangereux. A certains endroits nous avancions carrément à l’intérieur de la montagne, dans d’étranges galeries entre le granite et les corniches de glace. Nous avons bivouaqué dans une de ces cavernes et, comme c’était nous qui avions pris le seul réchaud à essence, Paul et Steve, qui étaient deux longueurs derrières, ont dû s’en passer.

Le lendemain matin, nous avons laissé le réchaud pour Paul et Steve qui nous ont bientôt rattrapés. Nous avons continué sur l’arête, toujours longueur par longueur, toujours assurés, sur un terrain mixte, dangereux à certains endroits. L’après-midi nous avons entendu des coups de sifflet, et avons répondu de la même façon; nos espoirs commençaient à grandir, mais la frustration aussi devant la lenteur de notre progrès. Nous avions eu un mauvais moment quand une corniche s’est effondré, ensuite deux longueurs sur des croûtes de neige creuses, dont la première fait par Rich en tête, était particulièrement risqué (le plupart de ce récit vient de mon journal, mais je me souviens toujours de quelques “flashes” d’images). Nous grimpions presque toujours à droite (est) de la crête; la gauche était raide et venteux. Il y avait de nombreuses petites bosses qui empêchaient une vue dégagé devant. Enfin, nous sommes arrivés à une marche de neige majeure sur l’arête, une structure complexe qui est clairement visible sur les photos. Nous y avons trouvé une congère de neige dans un creux dans laquelle nous pouvions creuser des trous superficiels comme abri. C’était le premier endroit ou un bivouac était possible de la journée, et nous avons pris ce qui allait s’avérer d’être une décision fatale, de s’arrêter pour la nuit. Paul et Steve sont arrivé peu de temps après dans le noir.

La nuit, à plus de 6000 mètres, était venteuse et exécrable, la neige en poudre est entrée partout et bientôt nous étions trompés. Rich et moi sommes partis les premiers. L’arête s’élargissait ici et nous avons grimpé la pente de neige. Après juste quelques mètres nous avons aperçu un piolet marteau piqué dans la neige. Rich l’a approché, toujours encordé, puis a crié qu’il y avait un sac de bivouac. Nous l’avons approché ensemble, inquiets, pourquoi personne ne bougeait? A l’intérieur il y avait Rog, mort (25/8/72). Il n’avait ni sac de couchage, ni veste en duvet, seulement son pull norvégien en laine grise, et il était allongé avec son visage dans la neige. Il n’y avait aucun trace de Dave. Nous sommes allés le dire à Steve et Paul et sommes remonté tous les quatre. Rich et Paul ont cherché sur Rog et dans le sac de bivouac, mais il n’y avait aucun indice pour expliquer ce qu’a pu arriver. Il était toujours très légèrement chaud et Paul, plus par un geste de désespoir qu’un acte rational a essayé de faire un massage cardiaque, mais sans résultat. Il devenait claire que nous avions été à 100 mètres de lui toute la nuit, et nos têtes étaient pleines de “si seulement...”. Heureusement, dans de tels moments, la nécessité de la situation vous empêche de vous attarder sur de telles pensées, il y avait toujours Dave et notre propre situation à nous préoccuper. Nous avons creusé une tombe dans la neige et l’avons enterré avec son piolet comme le viking qu’il ressemblait, enfantin peut-être mais ceci me semblait approprié au moment.

Nous avons cherché Dave mais finalement nous avons décidé qu’il avait dû être déjà mort pour que Rog le laisse pendant trois jours - il y avait trois cartouches de fusée dans la neige. Il y avait une pellicule dans son appareil mais, quand c’était développé plus tard, il n’a pas fourni d’indice non plus. La théorie la plus probable est que Dave est tombé par une corniche, ou glissé, sans être encordé car Rog avait leur corde avec lui. Il avait également un réchaud et pleine d’essence, mais pas de nourriture. La question est comment il a pu survivre à 6000 mètres aussi longtemps sans sac de couchage, ni même une veste en duvet? Je pense que probablement, vue les vents très fort le jour avant que nous l’avons trouvé et la nature exposée de la plate-forme de neige ou il nous attendait, qu’il a pu le perdre, envolé par le vent, ce jour même, et sans sac il n’avait aucun chance.

Le temps d’empirait, et après toutes ces considérations nous avons finalement décidé d’abandonner les recherches pour Dave et d’essayer de descendre. Dite froidement comme ça, cela a l’air terrible, nous savions tous que c’était peut-être une décision terrible, mais dans des situations de danger de telles choses doivent être faites, et faites vite, les regrets viennent plus tard, et durent toute la vie. Nous sommes retournés par la crête trois longueurs après notre bivouac avant de commencer à descendre la face en rappel en utilisant le corde de Dave et Rog. Au moins nous étions à l’abri du vent qui soufflait de l’ouest, mais maintenant il neigeait et sur la face raide de petites avalanches de poudreuse nous tombaient dessus en permanence. Après quatre rappels l’inévitable est arrivé et la corde s’est coincé à cause de l’accumulation de glace. Il faisait nuit maintenant et, abandonnant ces cordes, nous avons fait un très long rappel dans le noir avec les nôtres, et comme la chance l’a voulu, nous sommes arrivés tout juste sur la neige en bas de la face. Nous avons eu du mal à trouver le camp dans l’obscurité et la neige mais finalement nous sommes arrivés et nous avons tous les six dormi (un peu) sous le double toit du Vango. Il a neigé toute la nuit et, serrés ensemble, nous étions bientôt complètement trompés par la poudreuse et la condensation.

Au petit matin (26/8/72) nous nous sommes trouvés dans une étrange, humide monde orange, et, après un petit déjeuner rapide, nous avons laissé toute la nourriture en trop et avons commencé à descendre le glacier. Il neigeait et le vent soufflait fort, les conditions de “voile blanc” limitaient tellement la visibilité que nous étions incapables de trouver le chemin, nous arrivions sans cesse en haut de falaises de glace ou de crevasses. Les choses commençaient à se gâter, nous avons donc décidé à retourner chercher la nourriture au cas ou nous devions nous trouver coincés sur le glacier un certain temps. Rich et moi sommes tout juste arrivés au dépôt au moment où les traces de pas disparaissaient sous la neige fraîche. Nous avons rejoint les autres et avons de nouveau essayé de trouver une route de descente, mais toujours sans succès. Il nous ne restait pas de choix sauf de bivouaquer de nouveau, quatre sous le double toit du Vango et deux dans la tente de bivouac bleue.

Notre nuit était épouvantable, très humide et froide. Enfin, nous nous sommes levés pour voir que le temps c’était levé un peu. Nous sentions complètement à plat en marchant péniblement dans 30 à 60 centimètres de neige fraîche, mais finalement nous avons réussi à trouver un chemin pour quitter le glacier, jusqu’au rochers qui menaient à la sécurité. Nous formions une triste équipe, mais peut-être par peur d’un autre accident, j’ai insisté à prendre des photos de tout le monde, seulement celle de Neville me manque. Les expressions disent plus long que des paroles sur notre état d’esprit. Maintenant que nous n’étions plus en danger l’affreuse réalité de ce qui c’est passé commençait à nous atteindre. Depuis la découverte de Rog, le besoin d’action et de décision avait anesthésié nos sentiments, pendant les jours et les semaines qui ont suivi ils sont revenus. C’était une longue et désagréable marche jusqu’au camp de base, nous avons même dû nous arrêter en bas de la montée finale pour chauffée à boire avant de pouvoir faire face; et seulement en laissant une bonne partie de nos charges sur place en bas. C’était la pleine nuit quand nous sommes arrivés.

Le lendemain (28/8/72), d’une humeur morose, nous nous sommes reposés au camp, et avons discuté ce que nous allions faire. Evidement, c’était la fin de l’expédition et la décision était prise que Paul B et Neville partiraient pour La Paz le lendemain pendant que les autres arrangeaient les affaires et préparaient pour le retour. C’était exactement 7 jours depuis nous avions vus la première fusée rouge et 13 depuis que nous avions dit au-revoir à Dave et Rog pour la dernière fois.

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